Comment concilier vie privée et publicité de la justice ?
Ouvrir l'accès aux décisions de justice, tout en respectant la vie privée. Impossible ? Pas chez Doctrine.
Depuis maintenant 4 ans, nous investissons massivement dans la technologie pour assurer une diffusion plus large du droit dans le respect de la protection des données personnelles.
En effet, la publication de plusieurs millions de décisions de justice en ligne n’est pas un acte anodin. Elle contribue à l’accès au droit et à la transparence de la justice, tous deux nécessaires à la vie en démocratie, mais elle est aussi susceptible de porter atteinte à la vie privée : chaque décision contient le détail des faits, qui peuvent concerner la vie privée des parties ou de tiers, mais aussi les noms des avocats, magistrats ou greffiers intervenus dans la décision.
La vie privée est une valeur cardinale de Doctrine, premier éditeur juridique à être labellisé PrivacyTech par l’AFNOR. C’est pourquoi nous avons analysé l’impact que notre activité est susceptible d’avoir sur la vie privée des personnes mentionnées dans les décisions. Nous publions aujourd'hui la synthèse de ces résultats.
Télécharger la synthèse de l'analyse d'impact
La conclusion ? Les risques de la publication en ligne de décisions de justice sont réels, mais peuvent être évités : les mesures que nous avons prises permettent de garantir que la grande majorité des décisions ne contiennent pas les noms des personnes concernées. Dans les très rares cas où des noms subsisteraient, nos mesures permettent d’éviter que les personnes concernées soient négativement affectées.
Notre délégué à la protection des données personnelles (DPO), Hugo Ruggieri, revient sur ce travail dans cette interview.
Pourquoi avoir choisi de réaliser cette analyse d’impact ?
Hugo Ruggieri : "L’analyse d’impact relative à la protection des données est un concept issu du Règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) qui consiste à évaluer les risques posés par une utilisation de données personnelles pour les personnes dont les données sont utilisées. Une telle analyse est obligatoire lorsque des nouvelles technologies sont utilisées, comme l’intelligence artificielle employée par Doctrine pour anonymiser les décisions de justice, et lorsqu’un grand nombre de personnes sont concernées, ce qui est le cas puisque Doctrine publie plus de 10 millions de décisions."
"Nous avons donc réalisé cette analyse d’impact dans le cadre de notre conformité continue au RGPD. Il n’y a en revanche aucune obligation d’en rendre publics les résultats. Nous choisissons de le faire car nous considérons que le sujet est d’intérêt général, à l’heure où l’open data des décisions de justice est en passe de se concrétiser. Nous avons la conviction que notre expérience de diffuseur de millions de décisions de justice depuis plusieurs années peut être utile et souhaitons ainsi contribuer au débat public."
Quel a été le mode opératoire ?
H.R. : "Le sujet est trop important pour que l’analyse soit menée sans l’appui d’un expert indépendant. C’est pourquoi nous avons fait appel au cabinet Lighten Law, réputé pour sa maîtrise des sujets de données personnelles et de technologies de pointe et souvent interrogé sur le sujet. Les avocats du cabinet Lighten Law ont commencé par nous adresser un long questionnaire permettant de cibler précisément l’ensemble des opérations permettant la diffusion en ligne des décisions, notamment la collecte, l’anonymisation, et la publication."
"Nos auditeurs ont ensuite étudié les dizaines de pièces que nous leur avons fournies, interrogé plusieurs salariés, par exemple nos machine learning engineers (ingénieurs en intelligence artificielle) et nos experts en sécurité informatique, et ont étroitement collaboré avec moi pour comprendre les rouages précis de chaque étape. Cela leur a permis de dresser un panorama complet de nos pratiques et d’effectuer ensuite leur évaluation en toute indépendance."
Quelles sont les principales conclusions ?
H.R. : "La publication des décisions de justice met en balance deux éléments :
- D’une part les intérêts privés de chaque personne mentionnée dans une décision, et notamment le droit à une vie privée ;
- Et d’autre part, les intérêts du grand public à accéder à la totalité de la jurisprudence. Ces intérêts se rattachent à des principes et droits fondamentaux : la publicité de la justice, le droit au procès équitable, la liberté d’expression, le droit à la réutilisation des informations publiques, et le droit à l’information."
"L’issue de l’analyse est que l’adoption de garanties pour préserver ces intérêts privés permet de faire pencher la balance en faveur des intérêts du public, et donc de légitimer la diffusion en ligne des décisions de justice. Dit autrement, grâce à des mesures de prévention, il y a peu de risques pour les personnes mentionnées dans les décisions, et énormément à gagner pour le grand public."
Est-ce à dire qu’il n’y a aucun risque à publier des décisions de justice en ligne ?
H.R. : "Au contraire, cette analyse énonce que la publication de décisions de justice en ligne comporte des risques pour les personnes concernées, et notamment des risques d’atteinte à la vie privée des parties, témoins et tiers cités dans la décision. Cependant, elle permet de préciser que les risques pour les personnes concernées varient selon leur qualité : les professionnels du droit intervenant en cette capacité sont exposés à moins de risques que les justiciables."
"Surtout, ce travail prouve que les atteintes sont hypothétiques : la publication de décisions de justice en ligne, y compris de décisions non pseudonymisées, n’emporte pas en soi une atteinte aux personnes. Le cas échéant, les atteintes découleront ainsi de circonstances particulières propres à chaque cas. Cela signifie que le risque zéro n’existe pas, mais qu’il est très improbable que le risque se matérialise et a fortiori, qu’il y ait un impact pour les personnes concernées. Le rapport coût-bénéfice penche ainsi en faveur de la diffusion en ligne des décisions de justice, même si l’on ne peut garantir une anonymisation réussie à 100%."
Comment faire pour être anonymisé sur Doctrine ?
H.R. : "Doctrine recense des décisions déjà anonymisées par la puissance publique, et des décisions anonymisées par notre algorithme d’intelligence artificielle dont le taux de réussite sur la détection des noms est de 98,16%."
"Dans l'hypothèse peu probable où votre nom apparaitrait dans une décision, Doctrine prend l’engagement de vous anonymiser en moins de 48 heures après votre demande, qu’il suffit d’adresser à dpo@doctrine.fr. Un formulaire dédié est aussi disponible ici. Plus généralement, notre centre de données personnelles, et en particulier la page dédiée à l'anonymisation des décisions de justice, comprend des réponses à la plupart des questions sur ce sujet."