Historique de l’open data juridique

Doctrine est aujourd’hui l’un des fers de lance de l’ouverture du droit. Nous entendons rendre accessible l’ensemble de la jurisprudence française.


Dans les années 1960, la France se dote des premières bases de données juridiques recensant les arrêts de la Cour de cassation — base CASS en 1960— ainsi que du Conseil d’État avec la base JADE en 1968. L’hexagone s’inscrit donc très tôt comme pionnier de l’informatique juridique à travers notamment le plan calcul de 1967 qui prévoyait la constitution d’autres bases de données sous l’égide du bâtonnier Bernard de Bigault du Granrut.

Preuve de ce dynamisme, l’Association pour le Développement de l’Informatique Juridique est fondée en 1970. Ses membres éminents n’ont cessé depuis de promouvoir l’informatique juridique en France et dans le monde.

En 1968, le professeur Pierre Catala, visionnaire de l’informatique juridique, s’émeut de l’indisponibilité quasi-totale des décisions des cours d’appel. Il fonde alors à Montpellier l’Institut de recherche et d’études pour le traitement de l’information juridique. Il travaille à la création d’une méthode d’analyse des arrêts afin d’en déduire un résumé concis pour faciliter la recherche documentaire.

Cette méthode évolue au profit de critères objectifs permettant d’extraire rapidement les informations pertinentes d’un arrêt. En 1985, le gouvernement désigne les groupements d’intérêt économique Edi-Data et JurisData comme délégataires de service public pour la constitution du Fichier national informatisé de la jurisprudence française. Ceci marque la création des ateliers régionaux de jurisprudence, plus tard dirigés par Patrick Maistre du Chambon, professeur émérite et doyen honoraire de la Faculté de droit de Grenoble.

Constitués au sein des facultés de droit, lesdits ateliers analysent et classent les décisions de la cour d’appel de leur ressort. Ce travail minutieux se poursuit encore et toujours aujourd’hui et constitue la base JurisData, propriété de l’éditeur LexisNexis.

La jurisprudence d’appel est donc aujourd’hui classée mais elle n’est toujours pas librement accessible sur internet. Ainsi, Légifrance, service public de la diffusion du droit, ne propose qu’environ 1% des décisions des juridictions d’appel de l’ordre judiciaire. Une partie des décisions qui ne sont pas publiées est vendue par la Cour de cassation à une cinquantaine d’abonnés. C’est le cas par exemple de l’ensemble des décisions civiles des cours d’appel (base JuriCA).

La situation de l’accessibilité de la jurisprudence n’est pas sans rappeler celle des textes normatifs qui existait dans le passé. En 1996, la diffusion du droit sur internet était le monopole du CNIJ (dirigé par le JO) et confié à la société ORT. Un groupe courageux, notamment composé de Robert Mahl et Christian Scherer, décide de mettre en ligne le Journal officiel et les codes juridiques sur le site AdmiNet. Pour contourner l’interdiction française, les textes sont stockés sur les serveurs web de l’université de la Sarre et la diffusion se fait via des serveurs au Japon, en Russie et au Canada.

Cette action symbolise l’engagement d’hommes et de femmes en faveur de la libération du droit. Parmi eux, nombreux sont ceux qui font partie de l’association Juriconnexion. Créée en 1988 et aujourd’hui dirigée par Jean Gasnault, Juriconnexion regroupe les documentalistes juridiques travaillant pour des acteurs majeurs du droit en France. Ils œuvrent pour la compréhension, la diffusion et l’accessibilité de la documentation juridique. On peut citer à ce propos le travail de juriformation avec Emmanuel Barthe — consulter absolument son blog — qui vise, par exemple, à évaluer les outils de recherche documentaire.

Des membres de Juriconnexion ont participé à des beaux projets de réutilisation des données juridiques. On peut notamment citer Juricaf, porté par l’Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant en partage l’usage du français et inspiré par le président Gillet, qui regroupe 800 000 arrêts en français issus des cours suprêmes de quarante pays. Ce travail titanesque a mobilisé l’élite de la documentation juridique : Guillaume Adreani, Stéphane Cottin, Jean Gasnault ainsi que Stéphane Roux, Tanguy Morlier et Brice Person. Un des nombreux défis qu’a su relever Juricaf est celui de l’interopérabilité des données juridiques, magnifiquement résumé dans cette intervention de Guillaume Adreani.

En terme de réutilisation des données, il convient de souligner l’incroyable travail mené par Regards Citoyens dont La fabrique de la loi, Data Sénat, Data Assemblée nationale sont les plus beaux exemples. À mentionner aussi Légimobile de Georges André-Silber.

Enfin comment ne pas mentionner le projet de Grande Bibliothèque du Droit, supervisé par Emmanuel Pierrat, et qualifié de « Wikipédia du droit » par le bâtonnier Sicard. La richesse tant doctrinale que jurisprudentielle est un pas concret en faveur de l’ouverture du droit.

Les documentalistes juridiques français œuvrent aussi à la normalisation du droit, en France et en Europe. Stéphane Cottin, actuellement au Secrétariat général du gouvernement et ancien membre du groupe de travail ECLI, a particulièrement contribué à l’adoption d’un identifiant européen unique pour la jurisprudence. Celui que l’on qualifie de « mémoire vive de l’internet juridique » est la preuve de l’influence des documentalistes juridiques sur le rayonnement du droit français.

Aujourd’hui, ces acteurs sont regroupés dans une initiative inégalée en Europe : l’association Open Law, descendante de Droit.org et présidée par Benjamin Jean. Son objectif est d’ouvrir les données juridiques et de stimuler l’innovation collaborative autour de ces données.

Ce mouvement de fond a permis l’ouverture de quatre nouveaux jeux de données par la DILA en septembre 2014 (les bases CASS, INCA, CAPP et JADE) grâce au travail remarquable mené conjointement par Thomas Saint Aubin, responsable du pôle stratégie de la DILA et co-fondateur d’Open Law, ainsi que d’Henri Verdier, administrateur général des données. Il convient de souligner que la Cour de cassation ainsi que le Ministère de la Justice sont en faveur d’une diffusion plus large de la production jurisprudentielle française ; une chance pour la France et l’Europe !

Cette ouverture des données ne serait possible sans la volonté forte du gouvernement et sans le concours de la mission Etalab, qui apporte son expertise technique. Le gouvernement s’est en effet positionné sur ces questions dès 2014 lors de la Conférence de Paris sur l’Open Data et le Gouvernement Ouvert. Dans son plan d’action national élaboré dans le cadre du partenariat pour un gouvernement ouvert la France s’est alors engagée à « poursuivre l’ouverture des ressources juridiques et la collaboration avec la société civile autour de l’élaboration de la loi » et à « renforcer la politique d’ouverture et de circulation des données ». Cette stratégie est aujourd’hui au cœur du Projet de loi pour une République numérique.

Doctrine contribue activement aux propositions et actions en faveur de l’open data juridique. Grâce à nos différents partenariats et à nos robots qui cherchent en permanence sur le web des décisions de justice, nous constituons le plus grand fonds de jurisprudences jamais créé.

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