“L’avocat n’est plus le sachant qui dispense la « bonne parole juridique »”.
Associé du cabinet Orrick Rambaud Martel et responsable du contentieux en France, Frédéric Lalance revient sur l’évolution de la résolution de litiges et le futur des cabinets d’avocats.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je n’étais pas prédestiné à devenir juriste, je suis le premier de ma famille à avoir embrassé une carrière dans le droit. J’ai eu la chance de rencontrer très tôt Yves de Chaisemartin qui était une relation professionnelle de mon père et qui faisait partie de cette génération nouvelle dite du « Barreau d’affaires ». Celui-ci m’a proposé d’effectuer un stage dans son cabinet très tôt dans mon parcours universitaire, ce qui était rare à l’époque. Cela m’a permis d’acquérir une vision plus concrète des pratiques juridiques et judiciaires et plus généralement du métier d’avocat. J’y ai découvert par exemple comment effectuer une recherche juridique dédiée au règlement d’une problématique industrielle ou commerciale, comment rédiger une assignation ou des conclusions, toutes choses qui étaient très éloignées de mon quotidien à l’université.
À la fin de mes études et après l’obtention du CAPA, Yves de Chaisemartin m’a engagé comme collaborateur et à son départ pour le groupe de presse Hersant, j’ai travaillé avec son associé, Jean-Marcel Cheyron qui a pris le relai dans ma formation d’avocat junior. À l’occasion de la fusion des métiers d’avocats et de conseil juridique qui a été effective le 1er janvier 1992, Jean-Marcel Cheyron et moi avons rejoint le bureau parisien de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton pour y développer l’activité contentieuse. Au sein de Cleary Gottlieb, j’ai découvert le fonctionnement d’un cabinet anglo-saxon et la gestion de dossiers transnationaux.
En 1997, j’ai rejoint le cabinet Rambaud-Martel où je suis rapidement devenu associé. Lors de la fusion avec Orrick en 2006, je me suis vu confier de nouvelles missions de management, je suis devenu responsable du contentieux pour l’Europe et j’ai pris également d’autres fonctions en parallèle (responsable du contentieux en France, risk manager, et membre de différents comités mondiaux).
Lorsque j’ai prêté serment, je n’imaginais absolument pas être un jour associé d’un cabinet américain ou exercer des fonctions managériales qui me conduiraient à me déplacer fréquemment à l’étranger et singulièrement en Afrique dans le cadre de l’animation de notre bureau d’Abidjan. À vrai dire, je n’ai jamais effectué mes choix professionnels en ayant en tête un plan de carrière.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune avocat qui souhaite un jour devenir associé d’un grand cabinet comme Orrick Rambaud Martel ?
Il n’y a pas de formules miracles en la matière, ni de profil type. En revanche, certaines qualités peuvent conduire à la réussite : l’humilité qui ne signifie pas l’absence d’un ego solide notamment lorsqu’il s’agit de faire adhérer les autres à vos convictions mais la nécessité de faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux, la persévérance et la curiosité intellectuelle. Je conseille également aux jeunes avocats d’être eux-mêmes. Ne soyez pas de pâles imitations ! Les cabinets ne recherchent pas à dupliquer des profils mais plutôt des candidats qui peuvent apporter leur touche personnelle et s’épanouir. Il est important d’être un excellent juriste mais ce n’est pas suffisant. Pour être un bon avocat, il faut également aimer le management, être proche des clients et comprendre parfaitement l’environnement économique et financier dans lequel ils opèrent. L’avocat n’est plus le sachant qui dispense la « bonne parole juridique ». Il doit intégrer sa plus-value juridique dans la stratégie de l’entreprise et être disponible à tous les instants. Pour résumer, il est bien évidemment possible d’être inspiré par des avocats mais je crois que chacun doit être son propre modèle.
Comment expliquez-vous que les entreprises se dirigent de plus en plus vers des modes alternatifs de résolution des litiges ?
L’entreprise est, par nature, très pragmatique et focalisée sur ses objectifs. Or, le temps de l’entreprise est différent du temps judiciaire. Pour un chef d’entreprise le contentieux peut être, certes, une nécessité mais cette nécessité est très perturbatrice sur différents points (mobilisation des équipes, enjeu financier ou réputationnel). Le chef d’entreprise a besoin de visibilité et d’une solution opérante dans les meilleurs délais. Cette solution, peut être trouvée à l’issue d’une procédure judiciaire lorsque le litige entre les parties a une structure binaire et que leurs relations n’ont pas vocation à se poursuivre après la décision judiciaire.
Lorsque le litige s’inscrit dans une relation à très long terme qui a vocation à perdurer après la décision judiciaire, les modes alternatifs de résolution de conflits trouvent toute leur pertinence pour identifier et mettre en œuvre la solution pas uniquement juridique mais également technique, commerciale ou financière qui va permettre aux parties, au-delà de leur conflit, de poursuivre leurs relations contractuelles.
Les modes alternatifs de résolution de conflits pourraient-ils supplanter les juridictions traditionnelles ?
Je ne crois pas que les modes alternatifs de résolution de conflits supplanteront à l’avenir les juridictions traditionnelles. Il y a tout d’abord un grand nombre de litiges pour lesquels les parties recherchent une réponse juridique liée à une interprétation de la loi. Cette visibilité juridique, c’est le juge judiciaire qui est le plus à-même de la fournir aux justiciables.
Ensuite, il est des hypothèses notamment dans les dossiers mettant en cause des problématiques de responsabilité notamment collective, où le procès a une dimension de catharsis pour laquelle le juge judiciaire est sans doute mieux à-même d’apporter une réponse appropriée.
En outre, même dans les hypothèses où les parties vont recourir à des modes alternatifs de règlement de leurs litiges, la procédure judiciaire peut être un outil procédural performant notamment dans le cadre des procédures d’urgence préalables.
Ces procédures en référé ou sur requête peuvent ainsi conforter des situations favorables ou au contraire rétablir des situations compromises préalablement à des procédures de médiation ou de conciliation.
Enfin, il convient de ne pas oublier que les modes alternatifs de règlement des litiges sont des outils issus de la seule volonté des parties et qu’en l’absence de démarche consensuelle des parties et ce tout au long du processus, c’est le juge judiciaire qui reprend la main.
Comment imaginez-vous la structure des grands cabinets d’avocats dans 5 ans ?
Je ne crois pas que les grands cabinets d’avocats devraient connaître une modification profonde de leur structure dans un proche avenir. Il me semble plutôt que devrait se poursuivre l’évolution notée depuis plusieurs années vers une organisation davantage tournée vers les secteurs économiques que vers les domaines du droit.
Comment les cabinets d’avocats pourraient-ils être encore plus proches de leurs clients ?
Là encore, il n’y a pas de formule magique ou de recette miracle. Il y a mille et une manières d’être plus proche de ses clients. Sans doute, convient-il de passer le plus de temps possible avec eux afin de mieux comprendre leur modèle économique, identifier plus finement leurs attentes et y répondre. L’avocat doit absolument sortir de cette relation de prestataire de service dans laquelle il discute principalement des conditions techniques et financières de son intervention. Les cabinets d’avocats doivent être force de proposition ou d’anticipation et ne plus se borner à répondre à une demande. Les auditeurs et les consultants sont physiquement beaucoup plus présents dans l’entreprise que ne le sont les avocats. Il y a sans doute une réflexion à mener dans ce domaine afin de faire en sorte que le détachement d’avocats au sein des entreprises soit plus fréquemment mis en œuvre.
📷 Orrick.com