Première Présidente de la cour d’appel de Metz, Elisabeth Blanc évoque l’évolution de l’accès à l’information des justiciables.


Vous avez été présidente du TGI de Nîmes, les tribunaux du sud de la France comptent parmi ceux qui ont le plus de contentieux lourds, à votre sens qu’est-ce qui explique cela ?

Il est exact que les tribunaux du sud de la France ont des contentieux très lourds : d’une part, c’est une région à forte densité de population, qui est en constante augmentation et plus jeune que la moyenne nationale. D’autre part, la délinquance y est nettement plus importante.

Il reste que les contentieux de l’Est de la France comme à Metz sont quantitativement plus nombreux en matière civile et sociale, au regard du passé industriel de la région.

Quelles sont les relations entre les avocats et les magistrats dans un contexte difficile comme celui de Nîmes ?

Comme dans tous les ressorts, les relations entre les magistrats et les avocats doivent être empreintes de respect et de compréhension. La mise en place à Nîmes de commissions civiles et pénales trimestrielles a permis d’établir un dialogue apaisant. Les rencontres régulières entre les chefs de cour et de juridiction et les bâtonniers permettent aussi de débattre des difficultés rencontrées par les uns et les autres, et de les dépasser.

Comment les avocats peuvent-ils aider les magistrats dans leur travail ?

Chacun doit pouvoir pleinement mener ses missions. En matière civile, les magistrats doivent rendre des décisions motivées dans des délais raisonnables et les avocats préparer leurs dossiers de manière complète.

Les magistrats doivent gérer le plus rapidement possible les flux de dossiers et les avocats doivent disposer du temps nécessaire au dialogue avec leurs clients.

En matière pénale, les magistrats doivent organiser leurs audiences de manière équilibrée, afin d’avoir un temps d’écoute des justiciables suffisant. Ils doivent veiller à éviter les renvois dilatoires, tout en respectant aussi les droits des justiciables. Les avocats apportent beaucoup au tribunal par leur proche connaissance de leurs clients qui ne savent pas nécessairement transmettre les éléments utiles à leur défense. Par ailleurs, magistrats et avocats doivent être vigilants sur le respect de la procédure.

Vous avez exercé dans 6 localités différentes, la justice peut-elle être rendue de la même manière à Nîmes, Pointe-à-Pitre ou Metz ?

La justice est rendue sur le fondement des mêmes textes et des mêmes règles. Les poursuites ne sont pas nécessairement engagées de la même manière dans une région où les affaires pénales sont d’un niveau de gravité supérieur, comme devant le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, qui connaît une activité criminelle très importante.

Les magistrats doivent, pour bien juger, connaître le contexte économique et social qui est très différent dans ces trois villes. Quelle que soit la localité, l’écoute, la pédagogie à l’audience et le rappel des règles sociales doivent rester identiques.

Comment la cour d’appel de Metz se positionne-t-elle suite à la réforme territoriale ?

La cour d’appel de Metz a eu une histoire mouvementée et douloureuse qui rend les autorités judiciaires et civiles très sensibles quand il est question de carte judiciaire.

En effet, cette cour d’appel a été plusieurs fois supprimée et a été recrée par le décret du 2 janvier 1973. Le bassin de population du sillon mosellan est très peuplé, le nombre d’affaires dont la cour est saisie est important, la cour est la 17 ème cour sur 36 en importance. Elle est située au centre de la nouvelle région Est. Il paraît aujourd’hui peu envisageable de faire fi de ces atouts et d’envisager sa suppression.

Il manque 500 magistrats en France ; comment faites-vous face à ce manque ? Quelles en sont les conséquences ?

Les vacances de postes ont été la conséquence durant plusieurs années de recrutements très limités, alors que les départs à la retraite en nombre important, durant cette même période, étaient prévisibles. La chancellerie a déployé depuis 4 ou 5 ans des efforts importants de recrutement mais il reste en effet des postes vacants.

La cour d’appel de Metz souffre beaucoup de cette situation, les candidatures étant insuffisantes sur les juridictions de notre ressort.

Les magistrats conscients de leur mission essaient de pallier ces vacances de poste, en travaillant plus, mais c’est au détriment de leur vie personnelle et parfois de leur santé.

Nous attendons beaucoup des sorties d’école à venir, pour retrouver une situation meilleure.

Le dernier garde des sceaux, M. Urvoas, a créé des postes de juristes assistants qui viennent soutenir l’action des magistrats. Cette création était très attendue et donne entière satisfaction, les personnes nommées à ces fonctions ayant, si elles en remplissent les conditions la possibilité d’être ensuite intégrées dans la magistrature.

Comment magistrats et juridiction peuvent-ils communiquer ?

A Metz, lors d’affaires médiatiques comme l’affaire des mines de Charbonnages de France, un communiqué de presse a été établi en même temps que le délibéré, qui a clarifié pour les journalistes les fondements juridiques de la décision. Les jugements peuvent être très techniques et il est de notre rôle de les rendre compréhensibles pour le grand public.

Nous menons des réflexions en matière pénale mais sur des affaires très complexes, comme l’affaire Heaulme, il n’est pas possible de résumer 30 ans de procédure en une seule page. Nous nous réservons à l’avenir la possibilité de communiquer sur les affaires d’assises.

Le service de communication du ministère nous fournit un excellent encadrement lors de procès médiatiques. La cour d’appel de Metz a d’ailleurs un délégué de presse qui est le point de contact avec les journalistes durant toute la durée des procès médiatisés.

Comment les nouvelles technologies pourraient faciliter le travail des magistrats ?

Les magistrats et les fonctionnaires se sont appropriés, depuis déjà de longues années, les nouvelles technologies. La France a même été en avance dans ce domaine par rapport à certains de ses voisins comme l’Allemagne.

La communication électronique avec les avocats, bientôt avec les experts, la numérisation des procédures pénales mais aussi civiles sont maintenant des outils bien maîtrisés et qui continuent à se perfectionner.

Le défi à relever sera l’open data qui va influer notablement nos pratiques comme celles des avocats et qu’il conviendra de prendre en compte. La prévisibilité statistique des décisions rend encore plus nécessaire le recours à la collégialité.

Les justiciables ont accès à de plus en plus d’informations, cet accès à l’information a-t-il modifié leurs attentes vis à vis de la justice ?

Il est normal et salutaire que les justiciables soient le mieux informés dans la mesure du possible. Les justiciables connaîtront très vite et connaissent déjà, à titre d’exemple, les tableaux indicatifs d’indemnisation du préjudice corporel ou des pensions alimentaires. Cette situation nécessitera un effort supplémentaire de pédagogie de la part du juge.

L’open data va permettre d’aller au delà de ces barèmes. Les juges devront être en mesure de développer plus encore la motivation de leurs décisions. Ils devront par exemple expliquer au justiciable pourquoi dans 90% des cas, des personnes ont obtenu X euros d’indemnisation alors que dans son cas l’indemnisation ne pouvait être au dessus de Y euros.

La commission des lois du Sénat a créé en son sein, en juillet 2016, une mission pluraliste sur le redressement de la justice qui vous a auditionné, à votre sens comment peut-on redresser la justice ?

La décision la plus importante est de donner à la justice les moyens de son fonctionnement. Les budgets de fonctionnement ou de frais de justice ont été insuffisants depuis plusieurs années. La justice doit retrouver les moyens de ses missions. Devoir dire à un collègue qu’il n’est pas possible d’acheter une cartouche d’encre pour l’imprimante c’est insupportable. Il est normal d’avoir le matériel nécessaire à son travail. L’année dernière, des moyens supplémentaires ont étés attribués aux juridictions : les frais de justice (experts, interprètes…) sont enfin remboursés, la sécurité incendie et la sûreté ont été améliorées. Cela impacte positivement le moral des magistrats et fonctionnaires qui ont l’impression que l’on prend en compte leurs risques et difficultés. Cependant seule la mise en place d’un plan pluriannuel pour la justice permettrait d’engager de véritables réformes, visant à simplifier les procédures et à recentrer le juge sur ses missions fondamentales.

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📷: " Élisabeth Blanc installée à la présidence du TGI ", Midi Libre