Interview de Bastien Lignereux, directeur scientifique et auteur de l'Encyclopédie Doctrine
Pour le volet Fiscalité personnelle et patrimoniale de l’encyclopédie de Doctrine, comme ce fut déjà le cas pour la partie Fiscalité internationale, Doctrine a réuni certains des plus grands spécialistes de la matière. Membres du Conseil d’Etat, de l’administration fiscale ou d’organisations internationales, universitaires ou avocats… tous partagent une ambition commune : rendre intelligibles les règles fiscales les plus complexes, en conjuguant rigueur théorique et pratique professionnelle.
Aujourd’hui, rencontre avec Bastien Lignereux, rapporteur public au Conseil d'Etat, qui nous dévoile les coulisses de ses contributions : Pacte Dutreil - RCM - PV de cession de valeurs immobilières.
Quelles sont vos fonctions actuelles et quel a été votre parcours ?
Je suis actuellement rapporteur public au Conseil d’Etat, spécialisé en droit fiscal, au sein de la 9e chambre de la section du contentieux.
Mon parcours a débuté au Conseil d’Etat après ma scolarité à l’ENA ; j’y ai été formé au contentieux fiscal. Après quatre ans, j’ai intégré en 2017 la Direction de la législation fiscale, en tant que chef du bureau de la fiscalité du patrimoine. J’y ai été chargé du remplacement de l’ISF par l’IFI, de la création du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus mobiliers, de la réforme du pacte Dutreil en loi de finances pour 2019 ou encore de la création d’un régime d’imposition propre aux cryptoactifs.
Par la suite, j’ai choisi en 2020 de rejoindre la Représentation permanente de la France auprès de l’UE, comme conseiller en charge des questions fiscales. Ceci m’a amené à présider le groupe des représentants des administrations fiscales des 27 Etats membres en 2022, sous présidence française du Conseil de l’UE. A ce titre j’ai piloté la négociation de la directive sur l’imposition minimale mondiale des multinationales (pilier 2 OCDE). De retour au Conseil d’Etat, j’y ai été nommé rapporteur public en 2024.
Vous êtes à la fois directeur scientifique du volet Fiscalité personnelle et patrimoniale de l'encyclopédie de Doctrine et auteur de la partie consacrée au pacte Dutreil. Qu’est-ce qui vous a incité à vous engager dans ce projet ?
Les sujets de fiscalité patrimoniale m’intéressent tout particulièrement : ils mêlent le droit fiscal, le droit civil, l’économie, le tout en faisant l’objet de vives confrontations politiques.
Après avoir approfondi la dimension historique de ces sujets en publiant une Histoire des impôts sur le patrimoine de 1789 à nos jours, j’ai été très heureux d’œuvrer à la création d’une encyclopédie qui se veut une référence exhaustive en la matière, en réunissant des auteurs dont les expériences et les perspectives sont variées.
En tant que directeur scientifique, quel a été votre rôle dans l’élaboration de ce second volet de l’encyclopédie de Doctrine ? Quelle forme ont pris vos interactions avec les auteurs et l’équipe éditoriale de Doctrine ?
Mon rôle a d’abord été d’établir le plan détaillé de l’encyclopédie, en lien avec les autres membres du comité scientifique.
Dans un second temps, après constitution des équipes d’auteurs, il s’est agi de veiller à ce que leurs contributions s’articulent bien entre elles, sans doublons ni « angles morts » qui n’auraient été traités nulle part.
Enfin, avec les autres membres du comité, j’ai participé à la relecture scientifique des contributions afin de veiller à ce que la qualité de l’ensemble soit uniforme, notamment en ce qui concerne l’analyse de la jurisprudence.
En quoi la structure que vous avez retenue se singularise-t-elle par rapport à la littérature existante sur le sujet ?
La littérature existante est souvent inspirée par la structure du Bofip, qui elle-même peut parfois paraître datée : elle consacre de longs développements à certaines règles obsolètes ou d’application peu fréquente, tandis que les points centraux de la fiscalité patrimoniale (apport-cession, pacte Dutreil, holding animatrice, etc…) ne sont que trop brièvement évoqués.
La structure de l’encyclopédie s’efforce donc de ne pas reproduire les mêmes défauts : elle tient compte des enjeux sous-jacents dans la pratique et s’attache à approfondir particulièrement l’analyse des dispositifs sur lesquels les interrogations sont fréquentes. À cet égard, l’encyclopédie ne se limite pas à retracer les règles du CGI ainsi que leur interprétation par la jurisprudence et par l’administration au Bofip : les auteurs proposent aussi, sous leur propre responsabilité, une analyse des questions à ce jour non-tranchées.
Pour ce qui est de votre contribution consacrée au pacte Dutreil, quelle approche avez-vous privilégiée ? En quoi estimez-vous qu’elle renouvelle la lecture du dispositif ou en éclaire certains aspects encore peu explorés ?
Pour rédiger cette contribution, j’ai choisi de partir de la lettre de la loi, avec toutes ses ambiguïtés, en m’interrogeant sur les questions d’interprétation qu’elle peut soulever, tant s’agissant de la portée de chaque condition que de l’articulation entre les différents alinéas. Ainsi, tout en exposant les réponses apportées par la jurisprudence et par la doctrine, j’ai essayé de ne pas me laisser « influencer » par le Bofip, en identifiant les questions sur lesquelles il ne prend pas position.
C’est donc à un travail systématique d’interprétation de la loi que je me suis livré, en ayant aussi à l’esprit la dimension pratique que j’ai pu découvrir à la DLF dans l’examen des demandes de rescrit.
Vous avez déjà prêté votre plume au 1er volet de l’encyclopédie consacré à la Fiscalité internationale, en traitant la partie relative aux sources du droit fiscal international. Votre contribution se distingue par une actualisation exemplaire. Pourriez-vous nous éclairer sur votre méthode pour garantir la rigueur et l'actualité de votre analyse ?
Chacun le sait : en droit fiscal tout bouge très vite, qu’il s’agisse de la loi, de la jurisprudence, des positions administratives… À mon sens, il est donc essentiel pour l’auteur de garantir l’actualisation fréquente de sa contribution, sans quoi elle devient rapidement incomplète, voire obsolète.
Afin que la charge qui en résulte soit gérable, j’essaie de procéder à ces actualisations au fil de l’eau, notamment lorsque de nouvelles jurisprudences interviennent.