M. Terry OLSON, Conseiller d’Etat, jusque-là conseiller-assesseur à la section du contentieux, a été nommé par décret du 14 avril 2017 président de la Cour administrative d’appel de Versailles. Il a pris ses fonctions le 19 avril 2017.

Quels sont les défis auxquels doit faire face la Cour administrative d’appel de Versailles ?

Elle a principalement trois défis à affronter. Le premier est la réduction des effectifs. En effet, le Conseil d’Etat, qui gère l’ensemble du système de la justice administrative, se doit d’assurer une allocation optimale des ressources au sein des juridictions en fonction des contraintes humaines et financières. Il a été nécessaire de réduire les emplois de magistrats de la Cour administrative de Versailles de 42 à 38. Cela ne parait peut-être pas important mais un magistrat rapporteur traite de nombreux dossiers. La situation d’ensemble du pays fait que la rigueur budgétaire est parfaitement compréhensible, mais la réduction des emplois hautement qualifiés de magistrats soulève des défis importants, notamment du fait que cela ne doit pas induire une dégradation du service que nous rendons, et notamment de la qualité juridique de nos arrêts.

Le second consiste à gérer le flux des dossiers. La cour d’appel de Versailles a un ressort très étendu qui comprend trois tribunaux administratifs (Montreuil, Versailles, Cergy-Pontoise). Ces 3 tribunaux administratifs recouvrent 5 départements. Chaque année nous enregistrons environ 4000 requêtes. La difficulté réside dans le fait que l’évolution quantitative des requêtes est difficilement prévisible. On peine à en identifier les causes et surtout à les prévoir. Je pense notamment au contentieux des étrangers. Les départements du ressort ont des populations étrangères importantes, d’où un flux de contestations de refus d’octroi de titres de séjour. Il s’agit d’environ 50% de nos entrées, mais ses évolutions à la hausse ou à la baisse sont fréquentes et irrégulières.

Le troisième défi est spécifique à notre cour. Il renvoie au caractère contrasté de notre contentieux. Il y a à la fois un contentieux d’affaires importantes de par leur masse mais peu chronophages et peu complexes prises individuellement, à l’instar du contentieux sur les titres du séjour ou encore de certains contentieux de la fonction publique. Nous avons d’autre part des dossiers pas nécessairement très nombreux quantitativement mais qui appellent un traitement très qualitatif. C’est le cas notamment des affaires fiscales, sociales, du droit de l’urbanisme et des marchés publics. A titre d’exemple, nous avons dans notre ressort, à Pantin, une direction du ministère des finances qui centralisé les contrôles fiscaux des grands groupes, notamment des entreprises du CAC40. Ces entreprises font l’objet d’un contrôle systématique, et leur activité est extrêmement complexe, et souvent répartie dans le monde entier ce qui soulève des questions d’imposition fort difficiles. Il en est de même pour le droit social et aussi pour le droit de l’urbanisme et l’environnement compte-tenu de la présence d’entreprises gérant des installations classées, par exemple dans le Val-d’Oise. Or, dans nos statistiques, chaque affaire compte pour un, quel que soit le temps d’examen qu’elle exige, que l’affaire soit très simple ou très difficile. On comprend aisément que la réalité statistique ne traduise que de façon imparfaite la complexité des affaires.

Vous avez été nommé président de la CAA de Versailles le 14 avril 2017, quelles sont les actions prioritaires que vous souhaitez mener ?

Je souhaite approfondir notre visibilité, qu’il s’agisse de communication externe ou de la conduite de projets communs, à l’égard des professionnels du droit à l’instar des avocats, des professions judiciaires ou du monde universitaire. Je souhaite aussi porter des réformes destinées à mieux adapter l’organisation interne de la Cour, afin que ses moyens soient utilisés de manière optimale en fonction de la difficulté de l’affaire et de son ancienneté. Il faut évidemment traiter plus rapidement les affaires plus simples, mais avec tout le professionnalisme nécessaire. Si le respect de l’égalité de traitement entre les justiciables doit toujours rester pour nous un repère essentiel, un contexte si mouvant nous invite à adapter notre organisation.

En outre le juge a conscience des impératifs sociaux-économiques. Pour apprécier le degré d’urgence pour le jugement d’une affaire, il est légitime de prendre en compte des facteurs relevant de l’intérêt général. Par exemple, lorsqu’une décision d’investissement facteur d’emplois est conditionnée au jugement d’un appel : un retard excessif à juger pourrait se traduire par l’abandon du projet. Ainsi la solution donnée au litige, aussi satisfaisante serait-elle en droit, n’aurait aucune prise sur le réel. Si le temps du justice est différent du temps de l’économie et de la société, le juge n’est pas enfermé dans sa tour d’ivoire et il prend en considération les effets que le moment auquel il statue va produire, ou ne pas produire, dans la vie de la cité.

La justice administrative est-elle mieux perçue que la justice judiciaire par les justiciables ?

Tout d’abord, le juge administratif est moins connu que le juge judiciaire. Nos audiences sont publiques, mais généralement nous n’avons que peu de public présent. Le citoyen prête plus attention aux délits et crimes, et cela s’explique en partie par l’action des médias qui prêtent beaucoup d’intérêt à la justice pénale…et pas seulement du fait de la diffusion de séries policières américaines. Dans un tout autre registre, la juridiction du travail est, elle aussi, très connue des salariés ; là encore il s’agit d’un élément constitutif de la justice judiciaire. Quant au juge administratif, les décisions qu’il rend ayant un fort écho médiatique portent notamment sur le contentieux électoral et sur des affaires de référés, traités principalement par les tribunaux de première instance ou par le Conseil d’Etat. Il existe donc dans le « grand public » un déficit de notoriété du juge administratif, même si les choses évoluent dans le bon sens depuis quelques années. Il est dommage que soit souvent méconnu le fait que la juridiction administrative française traite environ 250 000 affaires tous les ans.

Quant à savoir comment le juge administratif est perçu, un bon indicateur peut être trouvé dans les avis exprimés par les avocats. Je crois que ces derniers, dans leur grande majorité, se font une idée positive du juge administratif, perçu comme professionnel et accessible. Un facteur important expliquant pourquoi le juge administratif bénéficie d’une bonne image auprès des avocats réside dans le fait que ses décisions sont raisonnablement prévisibles. Certes un contentieux n’est jamais gagné ou perdu d’avance, car les pièces produites à l’instruction peuvent influencer l’appréciation factuelle du dossier, mais en droit pur le sens de la décision du juge est assez souvent prévisible. Nous attachons beaucoup d’importance à la sécurité juridique.

Comment les nouvelles technologies pourraient-elles aider la justice administrative à être mieux comprise du justiciable ?

Les nouvelles technologies ont connu un développement considérable au sein de nos juridictions. L’application Télérecours, généralisée depuis le 1er janvier 2017, permet de dématerialiser la procédure. Auparavant on travaillait par courrier, fax ou téléphone et, par exemple, il fallait appeler le greffe de la juridiction pour savoir où en était la procédure. Les démarches sont désormais plus simples et moins coûteuses. Inévitablement des ajustements ont été et seront nécessaires, mais dans leur grande majorité les échos que j’ai reçus montrent que Télérecours constitue un progrès important. Nous sommes en phase avec notre époque.

Un tout autre sujet est la connaissance de la jurisprudence avec notamment les bases de données. A son niveau, la cour administrative d’appel de Versailles publie une lettre de jurisprudence trimestrielle afin d’informer le public des décisions importantes rendues par notre juridiction. Là encore, les matières auxquelles nous touchons sont souvent techniques et donc nos décisions intéressent plus les acteurs publics et les professionnels du droit que le grand public, même si les affaires d’urbanisme et d’environnement, les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou certains contentieux fiscaux connaissent parfois un certain retentissement.

Les réseaux sociaux sont une réalité. Des réflexions et des actions sont conduites à l’échelle de la juridiction administrative dans son ensemble, donc au niveau du Conseil d’Etat. En revanche à l’échelle de la cour que je préside, nous n’avons pas de compte Twitter ou Facebook. De toute manière, pour exploiter ce type de nouvelles technologies, il faut pouvoir mobiliser une équipe ayant le temps et le savoir technique lui permettant de répondre immédiatement et à l’échelle de la Cour nous ne disposons pas d’une telle ressource en propre.

A votre sens, qu’est ce qui peut expliquer que la justice administrative se voit confier de plus en plus de missions (recours contre le CSA en matière d’attribution de fréquence TV, respect de l’arrêté du ministère du travail en matière de représentativité au sein des syndicats…) ?

On assiste à une judiciarisation de la société. Ce mouvement est renforcé par la complexification du droit. A partir du moment où les justiciables estiment qu’ils peuvent contester ils vont saisir le juge. Les opérateurs économiques font un arbitrage entre le coût et les avantages d’un recours notamment en matière fiscale. Voilà l’une des raisons de l’augmentation du contentieux.

Il peut arriver aussi que l’imprévisibilité de la règle de droit alimente le contentieux. A titre d’exemple, les modifications trop fréquentes du droit fiscal peuvent entrainer des difficultés d’interprétation donc le développement de litiges. Il en va de même du droit de l’urbanisme.

Comment imaginez-vous le futur de la justice administrative ?

C’est une vaste question mais d’une façon générale je suis optimiste. D’abord notre corps de magistrats est d’un excellent niveau. On discerne parmi nos jeunes collègues un grand nombre d’individualités motivées et brillantes, pénétrées du sens de l’intérêt général.

Le système me semble avoir des capacités d’adaptation remarquables. La juridiction administrative dans son ensemble a su s’adapter aux évolutions du numérique et a pris le virage d’Internet, dans son fonctionnement interne mais aussi dans ses relations avec les justiciables et dans la construction de bases de données performantes, accessibles gratuitement à tous les citoyens. Tous ces défis ont été relevés dans des délais relativement rapides. Le juge administratif a su évoluer avec son temps. La faculté d’adaptation que j’ai pu moins-même constater, jour après jour et année après année, depuis 25 ans montre à quel point on peut être optimiste pour les 25 prochaines années.

Cela dit, il y a bien sûr des réflexions à mener pour traiter de manière innovante certains litiges. Je fais notamment référence au développement de la médiation dans le champ des litiges administratifs. Ce n’est pas le remède universel mais il y a là une marge de progression très intéressante, pour les juridictions, pour les justiciables et pour l’administration elle-même.

Vous avez présidé la conférence de droit aérien de Pékin en 2010, ayant conduit à l’adoption de deux conventions relatives à la répression des actes terroristes visant l’aviation civile. Quel bilan en tirez-vous ?

Cela fait sept ans que les deux conventions de Pékin ont été adoptées, sous l’égide de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI). Elles ne sont toujours pas entrées en vigueur, faute d’atteindre le seuil des 22 ratifications nécessaires. Il y a une certaine inertie dans le système ; quand une convention est signée bon nombre de gouvernements ne s’y intéressent plus vraiment. C’est particulièrement surprenant en ce cas, car le terrorisme est une menace encore plus sérieuse qu’il y a sept ans, y compris quand il cible les avions civils ou les aéroports. La France a parfaitement joué le jeu et a ratifié les conventions de Pékin mais tel n’est pas le cas d’un grand nombre de pays développés, y compris ceux qui prétendent être en pointe dans la lutte contre le terrorisme. Une grande majorité des Etats présents à la conférence de Pékin n’ont fait valoir aucune espèce de difficulté vis-à-vis du contenu des deux conventions. Dès lors, je peine à m’expliquer, de la part de ces Etats, le décalage ainsi manifesté entre un discours politique volontariste et une mise en œuvre concrète parfois lente. Mais il ne faut jamais perdre espoir ; ces conventions marquent un progrès important la lutte contre le terrorisme ciblant l’aviation civile internationale et elles finiront bien par entrer en vigueur. Le plus tôt sera le mieux.

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