Première présidente de la cour d’appel d’Aix-en-provence, Chantal Bussière évoque dans cette interview le futur de la justice et l’open data.


Première présidente de la cour d’appel d’Aix-Marseille, Chantal Bussière évoque dans cette interview le futur de la justice ainsi que le développement de l’open data.

Interview réalisée par Aurore de Doctrine.fr

Vous êtes entrée dans la magistrature en 1974, quelles ont été les grandes évolutions de la justice ?

La justice connaît les mêmes évolutions que la société. La société en 1974 était totalement différente de la société actuelle. Les préoccupations des citoyens et les litiges actuels ne sont pas les mêmes que dans les années 1970. A cette période le gros de l’activité concernait l’indemnisation de victimes d’accidents de la route. Jusqu’à la promulgation de la loi Badinter, les tribunaux traitaient essentiellement au civil des affaires d’indemnisation avec les compagnies d’assurance. Les contentieux aujourd’hui concernent majoritairement des affaires familiales. Il y a également une grande évolution sur la façon de travailler à l’intérieur des juridictions. La justice a une organisation différente de celle de 1958 et s’adapte au 21ème siècle. La technologie permet de rendre la justice plus proche des justiciables.

De nombreuses réformes participent à la réorganisation de l’institution judiciaire et de nouvelles questions se posent notamment sur la place de la Cour de cassation qui doit traiter plus de 30 000 affaires par an. Il y a également des réflexions à mener sur le travail des juges. Comment recentrer le juge sur son travail ? Est-il possible de l’entourer d’une équipe pluridisciplinaire à l’instar d’autres professions ?

La cour d’appel de Bordeaux dont vous étiez la première présidente a jugé des affaires sensibles comme l’affaire Bettencourt, comment préserver la sérénité de la justice face à l’effervescence médiatique ?

Je n’ai pas personnellement jugé l’affaire Bettencourt. Cependant je pense que lors d’affaires très médiatisées, la justice est toujours régie par les mêmes principes, notamment le secret de l’instruction. Par ailleurs il est peu aisé pour les médias, qui sont dans une logique de transparence, de comprendre la logique du secret de l’instruction. Lors de ce genre d’affaire, des temps de communication sont institués par le procureur de la république. En effet ces derniers communiquent beaucoup avec les médias dans le respect de ce qui peut être dit pour ne pas gêner la progression de l’affaire.

Le Conseil supérieur de la magistrature a également mené une réflexion sur la position des présidents et premiers présidents de cour d’appel dans le fait d’assurer la sécurité et la sérénité des juges lorsqu’ils font l’objet d’attaques véhémentes de la part de la presse. Effectivement, si la communication est nécessaire, il faut aussi prendre des précautions afin de maintenir l’impartialité de tous et éviter toute suspicion d’ingérence qui conduirait à une demande de récusation.

Les rapports entre magistrats et avocats sont-il identiques lors d’affaires médiatiques ?

Nous ne sommes pas dans un monde où tout est lisse. Sur certains dossiers on peut batailler sur le fond du droit mais l’on se doit un respect mutuel et notre déontologie doit nous guider. Ce n’est pas parce qu’une affaire est médiatisée que nous devons changer notre comportement, seul le respect réciproque de nos valeurs fondamentales doit nous guider. Effectivement cela demande un peu plus d’énergie pour rester dans ces valeurs fondamentales car certains avocats peuvent provoquer mais il faut résister à cette provocation.

Vous avez conclu une audience solennelle par cette citation du philosophe Maurice Blondel « L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare ». Comment un magistrat prépare l’avenir ? L’avenir de la justice est-il la justice prédictive ?

Il faut avoir une vision éclairée de l’institution judiciaire pour la préparer à l’avenir. La France d’aujourd’hui n’est plus celle du 20ème siècle de 1958. L’environnement dans lequel nous travaillons n’est pas toujours favorable au changement. Il faut préparer tous les acteurs du droit à ces changements et entendre le besoin de changement de nos concitoyens. Nous ne pouvons pas répondre à leurs besoins avec la même organisation qu’en 1958. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle a été mise en place la réforme de la justice pour le 21ème siècle.

La justice prédictive arrive dans un monde judiciaire qui est déjà coutumier des nouvelles technologies. L’open data va nécessiter une très grande vigilance. Certes il va permettre aux justiciables d’accéder à l’ensemble des décisions. Cependant, il faut que les plus démunis aient également accès à ces décisions. Peut-être qu’un moteur de recherche juridique comme Doctrine pourrait jouer ce rôle. Quant aux magistrats, la réflexion sur l’anonymisation de leur nom n’est pas achevée. Pourtant, il me semble clair que des magistrats qui travaillent sur des affaires sensibles comme le terrorisme verront, pour des raisons de sécurité, leur nom anonymisé. Par ailleurs, le fait de laisser le nom des juges dans les décisions peut conduire au risque d’identifier des profils de jurisprudence. Avant de mettre en place l’open data, il faut garder cela à l’esprit.

Quel a été l’impact de la réforme constitutionnelle de 2008 qui permet aux justiciables de saisir le Conseil Supérieur de la Magistrature ? Les saisines des justiciables sont-elles toujours justifiées ?

Cette réforme a été une excellente chose. Le Conseil Supérieur de la Magistrature est garant de l’indépendance de la justice. Il garantit aux justiciables des procès équitables et l’impartialité des juges. C’est également un organe de discipline des magistrats. La justice fait parfois des mécontents : ainsi au pénal, celui qui est condamné trouve toujours sa peine trop lourde. Au civil les victimes trouvent qu’elles n’ont pas obtenu ce qu’elles espéraient. Il fallait éviter que les saisines auprès du Conseil Supérieur de la Magistrature deviennent une entreprise de déstabilisation du travail judiciaire. La commission ne peut être saisie uniquement que si le comportement d’un magistrat est à revoir (manquement à son devoir d’impartialité, abus d’autorité…). D’ailleurs, dans la majorité des cas, les requêtes des justiciables sont déclarées irrecevables car elles ne remplissent pas les conditions légales très strictes de saisine.

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