Ancien associé chez August Debouzy, ancien membre du Conseil de l’Ordre, auteur du rapport sur « L’avenir de la profession d’avocat », et désormais associé au sein du cabinet Quinn Emanuel, Kami Haeri évoque la transmission de connaissance aux jeunes avocats.


Vous avez été Ancien Secrétaire de la Conférence, pensez-vous que ce genre d’expérience favorise l’insertion professionnelle ?

Je suis un produit chanceux de cette expérience, je suis entré dans la profession par une porte modeste. En effet, j’étais collaborateur dans une structure dans laquelle mes chances de devenir associé étaient très faibles, et la semaine où j’ai prêté serment j’ai décidé de me présenter au Concours de la Conférence. Cette expérience est un formidable accélérateur en terme de maturité et de formation. Cela permet de rendre une mission de service public en acquérant non seulement une bonne expérience de terrain mais également une méthode de travail plus collaborative car on partage énormément avec les autres Secrétaires et ancien Secrétaires. Je ne connais pas d’équivalent à cette institution et à cette expérience. Je ne peux qu’encourager les jeunes avocats à passer le concours de la Conférence.

Selon vous, qu’est-ce qu’un excellent collaborateur ?

Un excellent collaborateur est une personne engagée à vos côtés qui a envie de lier son succès au vôtre. Je pense également que plusieurs qualités sont requises : avoir une grande capacité de travail, avoir un esprit d’analyse fin et avoir une grande rigueur dans la restitution du travail. Avec mes collaborateurs on discute de chaque point du dossier. Je suis toujours compréhensif sur les divergences de choix stratégiques ou sur les interprétations différentes des miennes. En revanche, j’apprécie que le travail restitué soit le plus abouti possible. De même, je suis honoré de travailler avec des collaborateurs également attentifs à leur parcours professionnel, à leurs dossiers personnels, à leur visibilité. Il très important que les collaborateurs puissent se projeter et être entrepreneur de leur carrière. Ils sont des acteurs de la profession et doivent construire leur propre visibilité à coté de celle de leur cabinet en participant à toutes sortes de réflexions : think tanks, associations de professionnels et en s’impliquant dans l’enseignement ou la vie ordinale et syndicale. A cet égard, l’enseignement est une formidable école de l’éloquence qui permet également de se former à travers la formation que l’on dispense.

Comment les avocats plus expérimentés peuvent transmettre leurs connaissances aux jeunes avocats ?

Il est indispensable de passer du temps avec les jeunes avocats et être disponible pour eux tout en multipliant les opportunités de mises en relation avec les clients et partenaires du cabinet. Il n’y a rien de pire que des structures où les collaborateurs ne rencontrent pas les clients. Les collaborateurs doivent être mobilisés pour l’organisation des réunions avec les clients, à comprendre comment il convient d’expliquer une problématique et ce que les clients attendent. Il faut exposer au maximum les collaborateurs à la réalité de l’activité et les faire plaider pour qu’ils se sentent responsabilisés. J’insiste beaucoup sur la formation des jeunes avocats. Lorsque j’organise des conférences, des matinées d’information pour nos clients, je les sollicite naturellement sur divers sujets de droit et afin qu’ils y prennent la parole également. Ils doivent se sentir investis et deviennent très pointus sur tel sujet, ce qui leur permet de développer progressivement une spécialité. Il est également important que les jeunes avocats aient le temps de développer leur clientèle personnelle, c’est essentiel : ils se sentent plus autonomes et gagnent en maturité et en assurance, sans même parler de l’intérêt financier qu’ils en tirent légitimement. Ce serait une erreur de penser qu’un collaborateur polyvalent, autonome, qui a une clientèle personnelle constitue une menace pour un cabinet. C’est précisément l’inverse.

Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux, à votre sens quels sont les risques mais aussi les opportunités pour un avocat ?

Les réseaux sociaux sont un lieu d’échange sans équivalent, pour collecter de l’information sur des sujets qui nous intéressent, pour exprimer sa sensibilité sur certains thèmes, pour prolonger sa visibilité professionnel. Ils permettent de développer une identité numérique et de toucher des personnes impossibles à rencontrer auparavant. Les réseaux sociaux, mais plus généralement les outils numériques, sont une chance pour les jeunes avocats de développer rapidement leur visibilité et leur clientèle auprès de communautés, d’écosystèmes, d’influenceurs qui, auparavant, étaient quasiment impossible à atteindre. Les réseaux sociaux sont également des outils d’information qui permettent de rencontrer les acteurs de votre marché : confrères, professeurs de droit, journalistes spécialisés dans tel secteur. Et puis Twitter est aussi une mine d’information permettant l’accès en ligne à des articles qui permettent d’affiner votre connaissance, vos recherches.

Ce qui est dommage c’est qu’il y a aussi, parfois, de la malveillance sur les réseaux sociaux, des propos peuvent être simplifiés et des malentendus peuvent naître. On peut être amené à commenter des faits et cela peut blesser, déplaire et nuire. Twitter est un lieu ouvert et il faut faire attention quand on s’y exprime à respecter une éthique et être bienveillant.

Comment vous servez-vous des nouvelles technologies pour gagner en efficacité ?

J’utilise des outils classiques comme un logiciel de gestion électronique des données, un outil d’analyse d’indexation de base documentaire, une plateforme de travail collaboratif et enfin une data room virtuelle. Nous réfléchissions à utiliser des outils de prédiction judiciaire faisant appel à l’intelligence artificielle. Un point très important qui est encore trop assez peu pris en compte, est que le numérique bouleverse totalement la manière dont nous communiquons avec nos clients. Nos clients consultent par exemple massivement nos messages sur smartphones ou tablettes, il faut donc être extrêmement vigilant à ce que notre manière de communiquer soit également adapté à ce type d’outils. Nous adoptons de nouvelles manières de travailler, nous sommes plus mobiles, multi-tâches et multi-écrans; pour ma part, je travaille généralement avec 4 écrans.

Vous avez un diplôme en droit de l’informatique qu’est-ce qui vous ai fait choisir cette spécialité à un moment où l’informatique était peu en vogue ? Avez-vous constaté une évolution de cet enseignement ?

J’ai choisi d’effectuer un diplôme dans cette spécialité car j’avais le sentiment de pouvoir mieux approcher les sujets liés à l’innovation à travers ce secteur et ces études. A cette époque, en 1996, l’outil le plus ouvert en termes de réseaux était le minitel ! l’ordinateur personnel n’occupait pas la place qu’il occupe. Nous traitions de l’application de règles de droit classiques à des sujets nouveaux, dictés par la technologie. C’était passionnant. .

On pouvait déjà ressentir une formidable émulation autour de questions sur la protection des données. Le mobile était très peu démocratisé et la notion de contrat informatique soulevait de toutes nouvelles questions. Je me souviens qu’à cette époque j’étais à l’EFB et j’ai eu l’envie d’étudier ces nouvelles matières innovantes, le droit des logiciels, la protection des données personnelles. Aujourd’hui le droit de l’informatique a considérablement évolué. Le sujet porte moins sur les systèmes physiques que sur la donnée, son stockage, sa propriété, son transfert. Le cloud a transformé ce secteur et le big data prend de plus en plus d’importance ce qui amène de nouvelles problématiques, toujours aussi passionnantes

Quelles sont les relations entre les grands cabinets parisiens ? La concurrence est-elle féroce ?

Nous fréquentons un même barreau, un même environnement économique. Nous nous croisons sur des dossiers, et la confraternité n’est pas un mythe. Par ailleurs, nous avons tous des amis dans de si nombreux cabinets. Les relations personnelles sont donc bonnes, par nature. Naturellement, nous évoluons en même temps dans un secteur ultra concurrentiel et cette émulation est utile, elle est saine. Il est donc normal que dans un marché concurrentiel chaque cabinet essaye de recruter les meilleurs avocats, de développer sa visibilité et de convaincre de nouveaux clients, de remporter de nouveaux appels d’offre. La compétition est positive et nous pousse évidemment à être plus imaginatifs et créatifs mais cela ne porte pas atteinte à nos bonnes relations avec nos concurrents. Heureusement, sinon cette profession ne serait pas ce qu’elle est, et demeure.

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📷 " Kami Haeri quitte August Debouzy pour Quinn Emanuel " Décideurs Magazine