Inscrite au Barreau de Paris depuis 2006, date à laquelle elle rejoint Hervé Temime dont elle devient l'associée quelques années après, Julia Minkowski intervient principalement en droit pénal des affaires, droit pénal général, contentieux des affaires mais aussi dans des dossiers de droit de la presse.
Lassée du machisme régnant en maître dans les prétoires, elle co-créé en 2012 avec Rachel Lindon, consoeur également pénaliste, le Club des femmes pénalistes.
Elle raconte, dans cet entretien pour Doctrine, l'évolution de cette matière qui est la sienne ainsi que la place précieuse que les femmes se sont déjà faite aux assises mais dont elles doivent cependant encore faire la promotion.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre expertise ?
Alors même que lors de mes études à Sciences po, la tendance était aux cabinets d'affaires, ma vocation avait toujours été de devenir pénaliste. Titulaire d'une maîtrise de droit des affaires et d'un DEA de droit privé, j'ai d'abord orienté mes stages vers les cabinets d'affaires jusqu'à mon tout dernier stage où j'ai postulé chez des pénalistes. Ma rencontre avec Hervé Temime fût décisive. En seulement un échange d'une dizaine de minutes avec lui, j'ai compris que le pénal était effectivement une évidence absolue pour moi.
J'interviens aujourd'hui à la fois en droit pénal des affaires et droit pénal général, mais aussi en droit de la presse et en contentieux civil et commercial.
Pourquoi avoir créé le Club des femmes pénalistes ?
Tout est parti d'une discussion avec ma consoeur Rachel Lindon lors d'un déjeuner. Nous parlions de l'intervention d'un confrère lors d'une interview en décembre 2012 sur la candidature d'une femme comme bâtonnier. Il avait lancé à cette occasion qu'une "femme bâtonnier c'est comme une femme pénaliste, ça ne s'est jamais vu. Une femme n'a tout simplement pas les épaules."
Ces propos, qui sont en fait très fréquents dans le milieu, nous ont encouragées à écrire à quatre mains une tribune intitulée "Une femme avocate pénaliste ça n'existe pas ? Et pourquoi pas !" à la suite de laquelle l'association est née.
Ce type de réflexion fait écho à une réalité quotidienne. J'ai été récemment contactée par un pénaliste me demandant mon avis sur une ancienne stagiaire qui postulait chez lui. Ne recrutant que des hommes, il s'inquiétait de sa capacité à endurer la pression de certains clients de droit commun mais... avait tout de même besoin d'une bonne plume ! Les préjugés ont la vie dure.
"Dans un milieu où les hommes se recommandent en permanence les uns les autres, la solidarité féminine est essentielle au changement."
Si le nom de l'association est bien sûr un clin d'oeil aux clubs masculins historiques, c'est parce que nous voulions, à l'image de ces fraternités, permettre à de jeunes avocates de rencontrer des avocates plus expérimentées pour les conseiller, échanger en confiance mais aussi pour que les avocates se recommandent mutuellement dans les dossiers. Dans un milieu où les hommes se recommandent en permanence les uns les autres, la solidarité féminine est essentielle au changement. Pas plus tard qu'hier, un avocat m'expliquait que dans les affaires pénales impliquant des dirigeants politiques étrangers poursuivis en France, les clients insistaient pour n'engager que des avocats très médiatiques, ce qui lui avait posé une difficulté pour recruter un avocat à ses côtés. Parmi les avocats qu'il avait essayé de recommander...que des hommes !
Nous organisons aussi des évènements avec les femmes de la presse judiciaire, ce qui donne de la visibilité à nos actions et répond aussi à certaines de leurs propres problématiques.
"Si l'on ne peut que se féliciter du mouvement #Metoo et l'impact positif qu'il a eu sur la vie de toutes les femmes en libérant leur parole, il faut à tout prix protéger la présomption d'innocence qui est un trésor démocratique."
Comment défend-t-on dans le contexte #Metoo de ces dernières années ?
Je pense qu'il est plus simple d'être une femme lorsque l'on est en défense dans ce type d'affaires car le risque d'être taxée de misogynie n'existe pas. Les femmes avocates sont sans doute plus libres de leur parole dans cette hypothèse.
Dans le contexte actuel, le bruit des réseaux sociaux peut perturber le libre cours d'une défense efficace, d'autant que la justice, très lente, ne joue pas à part égale avec l'immédiateté d'Internet. La réputation d'une personne peut être détruite toute entière en un seul article de presse.
Si l'on ne peut que se féliciter du mouvement #Metoo et l'impact positif qu'il a eu sur la vie de toutes les femmes en libérant leur parole, il faut à tout prix protéger la présomption d'innocence qui est un trésor démocratique. Les magistrats ont démontré qu'ils gardaient plutôt la tête froide dans ce contexte, mais une décision de condamnation en diffamation ne répare pas le mal fait à une réputation un an et demi plus tôt, puisque tels sont les délais. Entre les réseaux sociaux et les décisions de justice, la presse est selon moi investie d'un rôle de régulateur démocratique qu'elle doit prendre très au sérieux.
"Aux Etats-Unis, les choses sont très manichéennes. Soit on est #Metoo, soit on ne l'est pas et cela se reflète dans la justice. Ma conviction est que la place de l'avocat est des deux côtés."
Du côté des victimes, on ne peut constater que malgré les prémices d'un changement, la France est encore en retard sur des sujets comme celui des violences faites aux femmes ou du harcèlement moral dans le couple. Nous avons absolument besoin de réformes car d'un point de vue très pratique les femmes sont souvent démunies et ne savent pas comment se protéger tout en respectant le droit de la famille et les obligations qui en découlent quand elles ont des enfants en particulier.
Aux Etats-Unis, les choses sont beaucoup plus manichéennes. Soit on est #Metoo, soit on ne l'est pas et cela se reflète dans la justice. A titre d'exemple, dans l'affaire Weinstein, deux avocates stars sont actuellement en train de s'affronter, l'une est connue pour ne défendre que des femmes victimes de viols, d'agressions sexuelles ou de harcèlement tandis que l'autre s'est forgée une réputation de pourfendeuse de #Metoo. En France, nous sommes moins dans ce clivage, un avocat peut défendre une victime un jour et un accusé le lendemain sans que ne lui soit reproché de contradictions. Ma conviction est que la place de l'avocat est des deux côtés.
Toutes spécialités confondues, on voit assez peu de femmes associées en cabinet, à quoi cela est-il dû ? Sachant que Temime associés est un contre-exemple de ce constat, comment y remédier ?
Je dois avouer que je fais partie des mieux loties, c'est une vraie chance de travailler avec Hervé Temime que je n'ai jamais vu avoir la moindre attitude ou propos misogynes.
Je crois qu'un nombre encore trop élevé de femmes a toujours ce sentiment absurde d'imposture. Elles s'autocensurent dans leur vie professionnelle. Il faut dire aussi que les avocates manquent cruellement de role models. Nous ne sommes pas les plus à plaindre en pénal, nous avons des Gisèle Halimi ou des Jacqueline Laffont, mais quid du droit des affaires ? Il n'existe pas à ma connaissance de Jean-Michel Darrois au féminin. Et si cette avocate existe, il faut qu'elle fasse parler d'elle ! Il faut que VOUS parliez d'elle.
"Nous ne nous interdisons pas le débat avec les hommes, bien au contraire, et la sororité est selon nous justement une forme d'action, à l'opposé d'une position victimaire."
Lorsque nous avons créé le Club avec Rachel Lindon, certaines pénalistes de la génération précédente étaient très dubitatives car selon elles, la démarche pouvait être contre-productive, en stigmatisant encore plus le fait que nous étions des femmes, que nous nous positionnions en victimes d'une discrimination et que nous nous excluions encore davantage. Cela n'a jamais été notre démarche. Nous ne nous interdisons pas le débat avec les hommes, bien au contraire, et la sororité est selon nous justement une forme d'action, à l'opposé d'une position victimaire. D'ailleurs, ces avocates ont depuis évolué sur le sujet.
Quelles sont les difficultés rencontrées aujourd'hui par un pénaliste d'un cabinet comme le vôtre, qui traite de nombreux dossiers très médiatisés ?
La pression médiatique étant de plus en plus forte, il existe parfois d'immenses contradictions entre la stratégie judiciaire et la stratégie médiatique. L'avocat ne peut pas faire comme si l'image de son client n'avait pas son importance dans l'immédiat et attendre que la justice tranche, même si l'on préfèrerait toujours donner la primeur de la défense aux juges. Faut-il ou non faire un communiqué de presse ? Faut-il répondre aux diatribes de la presse et risquer d'alimenter le feu ou se taire en laissant de fausses informations circuler ? Ces problématiques sont devenues tellement fondamentales que l'avocat est nécessairement impliqué dans la stratégie de communication de son client et doit composer avec l'intervention de son conseiller presse et communication. Je m'interroge beaucoup sur ces sujets et je donne d'ailleurs un cours sur ce thème à l'Ecole des affaires publiques de Sciences-Po en binôme avec une communicante.
Quelles sont selon vous les grandes évolutions du métier de pénaliste de ces dernières années ? Entre le métier de pénaliste vu par vous et par quelqu'un de la génération de Maître Temime quand il a prêté serment par exemple ?
A ses débuts, Hervé Temime commençait sa journée tôt le matin en allant voir ses clients en détention, plaidait dans la journée puis rentrait au cabinet assurer ses rendez-vous jusque tard dans la soirée. Désormais, avec nos smartphones, nous pouvons gérer beaucoup à distance et avons donc moins besoin d'une présence constante au cabinet. Vous pouvez être au Palais, ou entre deux rendez-vous à l'extérieur ou encore en déplacement et en même temps gérer d'autres dossiers .
Le droit pénal des affaires s'est par ailleurs énormément technicisé au fil des années et à la maîtrise de la matière juridique et de la conduite du procès s'ajoute la connaissance de matières de plus en plus complexes (comptable, financière, fiscale etc.) C'est un défi pour les avocats comme pour les magistrats.
L'avocat doit aussi désormais rendre en permanence des comptes à son client en lui faisant un reporting beaucoup plus précis de sa stratégie. Avant, le pénaliste était bien plus libre de l'organisation de sa défense. Aujourd'hui, il doit produire beaucoup d'écrits, en plus de ceux qu'il adresse aux juridictions, et collaborer avec des services juridiques dont des équipes entières sont parfois dédiées à un seul dossier. Désormais, nous devons également collaborer avec des cabinets de conseil et adapter nos méthodes de travail en conséquence.
Enfin, il arrive fréquemment de devoir défendre des sociétés étrangères en prise avec la justice française, ou des entreprises françaises en prise avec la justice de pays étrangers. Là encore, cela nécessite un certain savoir-faire et une connaissance des autres systèmes juridiques et judiciaires pour défendre au mieux ses clients.
"Le rôle de l'avocat est de préserver contre vents et marées certains principes qui ont eu toutes les difficultés du monde à s'imposer et qui sont fragilisés au quotidien."
Comment voyez-vous le lien entre démocratie et défense pénale ?
L'avocat est un maillon essentiel de la démocratie. Son rôle est justement de préserver contre vents et marées certains principes qui ont eu toutes les difficultés du monde à s'imposer et qui sont fragilisés au quotidien. La présomption d'innocence, on en a parlé tout à l'heure, mais aussi le secret entre l'avocat et son client.
Historiquement, l'avocat a toujours été en première ligne pour défendre certains principes essentiels aux valeurs de notre société. Badinter défendait l'abolition de la peine de mort dans ses plaidoiries d'hier tandis que la QPC d'aujourd'hui est désormais un formidable outil qui permet à l'avocat de contester des dispositions qui n'avaient pas fait l'objet d'une saisine par le Conseil constitutionnel après le vote d'une loi. Après plus de 10ans de mise en oeuvre, la pratique a démontré la redoutable efficacité de la QPC qui a permis à la procédure pénale notamment de progresser considérablement.