Daniel Mainguy, professeur à l'Université de Montpellier et Avocat au barreau de Paris, exerce principalement dans le secteur des contrats d'affaires depuis 1996.

Il explique, dans cette interview, l'extraordinaire impact que pourraient avoir les nouvelles technologies sur la matière contractuelle.

Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Ayant étudié les maths sup en lycée militaire puis le droit, je me destinais à une carrière militaire. J'ai fini par faire du conseil juridique en même temps que je préparais ma thèse et suis finalement devenu professeur de droit privé, à Lyon 2 puis à Montpellier où j'enseigne le droit civil, des contrats d'affaires et de l'arbitrage. J'ai toujours exercé à côté en tant qu'avocat et arbitre ou consultant. En tant que chercheur, je m'intéresse principalement au droit privé économique (droit de la concurrence, droit du numérique, droit de l'arbitrage et des contrats d'affaires).

Selon vous, quelles sont les principales évolutions du métier de professeur de droit ? Voyiez-vous une évolution dans la méthodologie de recherche/veille enseignée aux étudiants ?

Considérant que l'enseignement juridique d'autrefois est un enseignement purement magistral qui ne se suffit plus à lui-même, j'ai créé un concours d'arbitrage francophone (CIAM Serge Lazareff) dont on fête cette année le 20ème anniversaire. Il s'agissait, à l'époque, du tout premier concours qui se fondait sur un cas pratique réaliste.

J'ai ensuite créé le Collège de Droit à Montpellier afin d'enseigner des matières souvent marginalisées dans les formations juridiques telles que la sociologie ou la philosophie du droit ou encore l'histoire du droit et des expériences pédagogiques comme un procès simulé (en 1ère et 2ème année). L'idée est de toujours plus mettre les étudiants en situation réelle, c'est à dire de confronter des situations de droit vivant et de droit savant, ce qui est usuel pour les avocats.

Selon moi, l'enseignement en droit doit évoluer car grâce à Internet, l'information juridique est désormais disponible et multiple. Aujourd'hui, le véritable challenge dans l'enseignement est de former les étudiants à transformer le droit en une technique opérationnelle. Nous devons leur apprendre à chercher non pas seulement l'information mais là ou les bonnes informations, ce qui ne se réduit pas à une solution quelconque (ce qui ne serait qu'une extension de l'invocation d'un article du Code civil) et surtout les éléments qui conduisent à ces informations (les controverses, les fondements, etc.).

Quelles sont les difficultés rencontrées par un avocat en droit des contrats et comment l'innovation peut apporter des solutions à ces difficultés ?

Actuellement, un grand changement se déroule en dehors de l'université. Au quotidien, la relation entre le praticien et les décisions de justice rendues est beaucoup plus courte qu'auparavant. Les legaltechs fournissent des moyens efficaces permettant de raccourcir le lien entre le demandeur d'informations et le juge.

Le problème selon moi est que, tout comme le patient confond Doctissimo et médecine, le justiciable confond l'information juridique disponible sur Internet et le droit. Le droit doit s'étudier comme une science car le justiciable, même en ayant accès à l'information juridique, ne comprend pas cette science, ne peut pas la saisir: juriste, c'est un métier, une expertise complexe.

Ces nouveaux outils et notamment l'intelligence artificielle peuvent-ils avoir un impact sur la construction de contrats, de stratégies contractuelles et même sur la culture contractuelle française ?

Il existe déjà des outils d'aide à la rédaction de contrats : certains ouvrages présentent des techniques de contrats-types, ou des clausiers, voire des méthodes de rédaction de n'importe quel contrat, que l'on peut trouver dans des formulaires très scientifiques comme ceux des éditions du Jurisclasseur. Il existe aussi aujourd'hui des logiciels de rédaction de contrats assistés par ordinateur.

La question se pose de savoir si l'utilisation de l'IA ne pourrait pas apporter encore davantage. C'est déjà le cas pour les notaires pour lesquels des techniques très sophistiquées sont disponibles, mais cette technologie devrait pouvoir être généralisée à n'importe quel contrat. On trouve par exemple depuis longtemps des formules de baux préimprimés pour des contrats simples.

Mais cela supposerait des outils sophistiqués et puissants. Pourquoi? Parce que chaque contrat fait l'objet de deux tests. Le premier est un test de validité : telle clause est-elle valable, non valable ou discutable, tel contrat dans son entier l'est-il ? Le second test est un test d'efficacité : la clause ou le contrat dans son ensemble sont-ils complets et cohérents ?

La technicité contractuelle devrait pouvoir être réfléchie comme un algorithme, avec toute une série de paramètres servis par la disponibilité de l'information juridique.

Cet algorithme pourrait parvenir, outre la proposition d'un cadre contractuel, à trois groupes d'informations :

  • Feu vert : Le contrat est valable ou, si le feu vert est clignotant, le contrat est valable mais une clause accessoire pose difficulté.
  • Feu orange : Le contrat peut poser difficulté sur des standards juridiques. Par exemple, est-on dans une situation d'imprévision ? Le délai de résiliation est-il valable ?
  • Feu rouge : Ici, il y a un problème majeur de validité. Par exemple, s'il y a une clause compromissoire dans un bail commercial, ce qui est impossible selon la jurisprudence actuelle, si une clause de non-concurrence contient des éléments excédant les standards acceptables, une clause pourrait être considérée comme présentant un déséquilibre significatif.

La véritable valeur ajoutée d'une telle solution se trouverait dans les grands contrats du commerce tels que les contrats de construction dans lesquels les obstacles en termes d'efficacité sont majeurs en raison de contrats de droit de l'environnement, de faillite ou encore de droits étrangers, ou des contrats d'affaires, ceux du droit des sociétés ou du droit de la distribution.

La difficulté réside essentiellement dans le fait que, pour le rédacteur d'un contrat, les processus de décision reposent sur l'anticipation d'une décision future d'un juge, alors qu'un contrat est rédigé en fonction du droit positif actuel. C'est cette différence, souvent essentielle, qui justifie la scientificité d'un droit mouvant par nature, le mouvement résultant de modifications législatives, de l'évolution jurisprudentielle et qui fonde la part d'expertise du rédacteur. Par ailleurs, la culture juridique globale et les habitudes du lieu de la prise de décision influe sur ces processus. Toutefois, eu égard à la disponibilité majeure de l'information juridique, des travaux de la doctrine aux décisions des juges du fond, peu importe finalement la culture juridique de départ, romano-germanique, de Common Law, économique ou morale : le droit des contrats est, par essence, fondé sur une logique libérale et utilitariste, tempérée par des réglementations diverses, parfois complexes mais connues, avec des éléments de prévisibilité assez importants, pour ceux toutefois qui tiennent compte des travaux doctrinaux, ce qui devrait faciliter l'arrivée de ce type de technologie en France.

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