Passionné par l’évolution des processus juridiques et fiscaux, des moyens d’éducation en droit et des grandes tendances du marché qui lui ont permis de collaborer au développement de nouvelles approches du droit au sein d’EY Société d’avocat ou il était associé jusqu’au 1er septembre 2019, mais également au sein de formations juridiques qu’il a créées, Stéphane Baller réagit, dans cette interview pour Doctrine, à l’impact de l’innovation sur la veille juridique.
1. Pouvez-vous présenter votre parcours ?
Ayant toujours été passionné par l’entreprise, j’ai naturellement commencé par l’économie puis le droit en passant par l’expertise comptable. Après avoir débuté chez les avocats et effectué un court passage chez les régulateurs, je suis rentré chez EY en tant qu’auditeur, avec la volonté de voir les entreprises de l’intérieur et travailler sur des dossiers absolument passionnants : la privatisation des Postes et des Télécoms avec la création dans la foulée de Wanadoo et de l’activité Mobile par exemple.
J’y ai surtout beaucoup appris sur d’autres métiers, sur la modernisation d’entreprise et sur la gestion de projet. J’ai vécu l’arrivée du Regulatory et je me suis retrouvé à faire acheter les prestations d’audit en Risk Management et Compliance d’EY, activités réalisées à l’époque avec 80% des nouveaux clients pour EY qui avait une position très visionnaire sur ce marché. Je suis revenu à la profession d’avocat il y a presque 20 ans par cette approche Gouvernance, Risque, RSE, Compliance … toujours avec la volonté d’être en avance sur le marché !
Ayant eu la chance de suivre les deux parcours en constatant le manque cruel d’enseignements en management et leadership à l’Université, je me suis intéressé aux contrastes entre la formation offerte par les facultés de droit et celle des écoles de commerce. C’est la raison pour laquelle j’ai contribué à développer depuis plusieurs années et dans plusieurs Facultés de droits et écoles d’avocats des programmes pour mieux appréhender l’évolution de marché afin de former au mieux et de la manière la plus accessible les juristes de demain*.
Il s’agit avant tout de réfléchir aux métiers des professionnels du droit aujourd’hui plus larges que avocat ou magistrat et d’oser parfois s’en détourner pour mieux le comprendre. Nous avons par exemple proposé à des étudiants ayant échoué à l’examen d’entrée du barreau des stages en entreprise ou en Legaltech qu’ils n’avaient pas envisagé, et nous avons fait en sorte de repérer les étudiants qui passaient le barreau sans véritablement savoir pourquoi afin de challenger leur projet et détecter les compétences nécessaires à révéler.
2. Quelles sont selon vous aujourd’hui les difficultés rencontrées par un avocat en matière de recherche de l’information juridique ?
Le premier problème rencontré aujourd’hui par un avocat est l’abondance des contenus et des outils de recherche : Et pourtant tout n’est pas encore publié ! Le second est la fausse impression que la recherche est chose aisée. Les jeunes avocats d’aujourd’hui, formatés par l’idée de facilité de la recherche « vendue » par les moteurs de recherche Google, font parfois l’économie de se former à la recherche juridique qui fait un peu poussiéreuse. La suppression des mentions de Master Recherche versus Professionnalisant a été un révélateur sur l’oubli par les opérationnels de la nécessité d’apprendre à chercher pour innover et développer ainsi une curiosité et une résilience indispensable pour aujourd’hui faire carrière.
Je trouve cela malheureux et nous avons alerté les écoles d’avocats sur ce point car un avocat doit se former à certains réflexes : rechercher des éléments de réflexion dans le cœur des débats parlementaires, s’intéresser à l’histoire voire la philosophie d’un texte, ou aller vérifier la base économique d’une loi par exemple.
La tendance aujourd’hui est de suggérer des outils qui permettent de trouver la meilleure solution en un temps record, ce que le marché exige, mais qui ne permettent pas toujours à l’avocat d’analyser au mieux cette solution pour dire et anticiper le droit pour un client peut être à éduquer pour qu’il retrouve le goût aussi de cette projection dans l’avenir, de cette stratégie juridique.
3. Quelles peuvent être les solutions apportées par les legaltechs pour la veille juridique ?
Tout l’intérêt des legaltechs réside dans la capacité d’aider l’avocat si ce dernier pose dès le départ la bonne question juridique. Le meilleur des algorithmes est hélas inutile si le professionnel du droit lui-même n’est pas sûr de la question précise ou des circonstances dont doit découler son raisonnement. Cette précaution prise, la vitesse de traitement et le volume de l’information traitée permettent de tester plusieurs solutions ou dispositif de défense tout en stimulant l’imagination.
Une plateforme comme Doctrine permet à l’avocat de trouver la bonne jurisprudence mais il lui faudra associer à cette recherche une vision globale du contexte social, financier et politique. La plateforme devient un collaborateur de l’avocat d’un genre nouveau qui n’est pas exclusif des stagiaires et paralegals loin de là, dès que des éléments de jugement et d’imagination sont nécessaires.
4. Selon vous, est-ce qu’avec ces nouveaux outils et notamment l’IA, la méthodologie de recherche va-t-elle changer ?
La vraie question qui se pose aujourd’hui parmi les professionnels du droit est non pas de savoir comment mieux dire le droit, mais comment mieux le prédire. Il ne s’agit pas de la simple capacité à rationaliser le passé pour le projeter purement et simplement dans le futur (au risque de garder les mauvaises habitudes) mais d’intégrer dans l’évolution juridique un ensemble d’éléments qui ne sont pas forcément juridiques et participent à l’évolution du droit. Le contexte politique, sociologique ou les évolutions économiques par exemple.
Cela passe aussi par la capacité à rationaliser les évolutions, les créations - attendues ou à venir - d’organes de régulation ou de contrôle plus ou moins administratifs, plus ou moins nationaux. Cela signifie également de prendre en compte une multitude d’évolutions des faits de société qui peuvent être très inconstants.
5. Comment voyez-vous la collaboration entre legal et tech sur le long terme ? Une collaboration entre ingénieurs et avocats au sein de cabinets d’avocats ? Un changement dans la formation des futurs avocats ?
La collaboration entre les deux matières étant indispensable, il faudra à l’avenir déployer de nouveaux métiers au sein des cabinets d’avocats.
Il faudra ainsi développer la fonction d’avocat-chercheur” ou revisiter la conception que nous avons parfois du support Knowledge Manager. Ce métier n’est pas encore parfaitement abouti en France, car on ne considère pas cette fonction, comme beaucoup de fonctions support des cabinets, comme étant assez productrice de valeur.
Il faudra également créer des postes de Directeurs de l’Innovation comme aux Etats-Unis, d’économistes et d’informaticiens au sein des cabinets d’avocats. Chaque cabinet aujourd’hui doit avoir une personne en son sein capable de comprendre l’algorithme d’une legaltech pour savoir si celle-ci répond au besoin des collaborateurs.
*Double diplôme Business Law & Management (EDHEC Université Catholique de Lille), DU “Avocat-conseil fiscal des entreprises” (HEDAC UPEC), DU “Transformation Digitale du Droit & Legaltech” (Paris 2 Assas) Master 1&2 fiscalité (UPEC).
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